La demande, l’offre et l’économie de la disponibilité des ressources : et si l’on réfléchissait à long terme ?

L’industrie minière a un problème, déplore Oscar Landerretche, Président de Codelco, également économiste à la tête de l’un des plus grands producteurs de cuivre et de molybdène au monde. Quel est donc ce problème ? Une ambiance « haussière » à la récente London Metals Week.

Mais alors… c’est une bonne nouvelle pour le secteur, non ? Non, pas vraiment, comme l’a expliqué Oscar Landerretche à l’occasion de la 10ème conférence internationale de l’Institut Veolia sur la disponibilité des ressources. L’industrie minière, hautement financiarisée, réagit aux cycles d’expansion et de ralentissement à court terme. Quand la tendance est à la hausse, rien n’incite les entreprises à veiller à leur efficacité matérielle ou à tenter d’atténuer l’impact des cycles. Inversement, quand la tendance est à la baisse, ce sont les ressources financières qui manquent pour anticiper quoi que ce soit. Selon M. Landerretche, une « course à l’armement technologique » permettrait de mieux gérer les impacts environnementaux de l’exploitation minière, par exemple en restaurant d’anciens sites miniers ou en recourant à la désalinisation de l’eau.


Comme l’illustrent les commentaires de M. Landerretche, quand les entreprises s’intéressent à la gestion des métaux et des minéraux nécessaires aux technologies à faible émission de carbone, les signaux envoyés par le marché à court terme entrent souvent en concurrence avec les objectifs à long terme, ce qui les met face à des motivations contradictoires. Comment peut-on faire pencher la balance pour que les entreprises et leurs actionnaires réfléchissent davantage à la disponibilité des ressources, aux méthodes durables d’extraction des ressources primaires et à la transition vers l’efficacité énergétique et des matières premières, dans le cadre d’une transition vers le bas carbone ? Comment pouvons-nous nous faire en sorte que les métaux et les minéraux ne soient pas un facteur limitant pour la croissance de l’économie circulaire à faible intensité de carbone ?
 
Des scénarios pour l’avenir
Pour que les marchés fonctionnent correctement, pour qu’ils allouent des ressources et fassent en sorte que l’offre réponde à la demande, nous devons d’abord tenter d’en savoir plus sur la demande de métaux et de minéraux de demain, via des scénarios pour l’avenir. Des métaux tels que le cuivre et l’aluminium pour la conduction électrique, ainsi que des batteries et d’autres infrastructures seront essentiels aux systèmes bas carbone fonctionnant avec l’électricité, explique Thomas Graedel, spécialiste de l’écologie industrielle à Yale. Comme il l’indique, si le changement technologique est en grande partie imprévisible, les travaux de projection sur la demande de métaux évoquent 2,5 à 4 fois la demande actuelle, et 3 à 4 fois la production actuelle d’ici au milieu du siècle. 


L’industrie automobile est une source majeure de croissance potentielle de la demande. Si le marché automobile américain passait de l’acier à l’aluminium dans les SUV, les camionnettes, les monospaces et partout où il n’est pas encore utilisé, la demande d’aluminium de ce secteur augmenterait de 40 à 70 % aux États-Unis et en Europe occidentale. En ce qui concerne le cuivre, les véhicules électriques hybrides utilisent 30 kg de cuivre par unité, tandis que les véhicules électriques à batterie en utilisent 60 à 80 kg par unité.


En plus des principaux métaux, comme le cuivre et l’aluminium, la demande de métaux « accompagnateurs » comme l’indium et le gallium progresse. Ces matériaux composant les cellules solaires, ainsi que de nombreux autres minéraux mineurs, sont produits uniquement, ou principalement, comme des produits dérivés : par exemple, l’indium est un produit dérivé du traitement du zinc, tandis que le gallium est un produit dérivé de l’aluminium. Si la production des principaux métaux baisse, il en sera de même pour la production de ces métaux secondaires.  
Selon certaines estimations, en 2050, les technologies bas carbone à elles seules feront augmenter la demande de 10 % par rapport à aujourd’hui, ce qui exerce des pressions supplémentaires sur les ressources. Toutefois, selon Sangwon Suh, de l’Université de Californie à Berkeley, il n’y a aucune raison de céder à la panique à l’heure actuelle.
 
L’efficacité des ressources à l’épreuve de l’économie
Les marchés assurent-ils leur rôle, alors ? Globalement, oui, explique Cameron Hepburn, économiste à Oxford. Les prix envoient des signaux efficaces au marché, incitant les entreprises à trouver de nouvelles sources de matériaux et des manières plus efficaces de les utiliser. Dans une certaine mesure, la rareté ou la disponibilité des ressources est prise en compte. Toutefois, pour l’instant, le niveau élevé des prix a incité la plupart des entreprises à trouver de nouvelles réserves plutôt qu’à utiliser plus efficacement les ressources. Mais qu’en est-il de la prise en compte des externalités négatives, des innovations technologiques et des business models, ainsi que de la gestion à long terme permettant de rendre les ressources disponibles ? Pour ces différents facteurs, les marchés ne sont pas toujours suffisamment efficaces, et dans certaines régions il y a une absence quasi complète de marchés, notamment pour les émissions de carbone.


Le secteur peut prendre ses propres mesures pour encourager une disponibilité des ressources plus durable. Pour préserver ses investissements en R&D des effets de fluctuation du marché, Codelco a créé une filiale spécifique. Celle-ci cherche à développer des innovations qui limiteraient les impacts environnementaux.


Les intervenants ont également appelé les entreprises à s’intéresser à la valeur de l’économie circulaire. Investir dans l’économie circulaire permet, par exemple, de conserver les actifs dans le cycle plus longtemps. Historiquement, la valeur était générée de façon linéaire : les entreprises de biens de consommation à évolution rapide ont un taux de rejet de 80 %. Aujourd’hui, la technologie, les données et les business models convergent, ce qui rend possible l’utilisation des « produits en tant que services » et de recourir aux ressources de façon plus raisonnée. Jamie Butterworth, de Circularity Capital, a évoqué les 630 milliards de dollars de potentiel et les 840 entreprises en phase de croissance qui se trouvent dans le pipeline de sa société, une entreprise sur cent devant être sélectionnée en vue d’un investissement. Circularity Capital investit dans ce que Jamie Butterworth appelle des « enablers », c’est-à-dire des entreprises moteurs quant à l’offre de solutions et de services à l’économie circulaire, et dans des « transformers », c’est-à-dire des entreprises qui transforment leurs produits, matériaux et opérations pour aller dans le sens de cette économie et créer de la valeur à partir des déchets.


Pour les grandes entreprises, l’économie circulaire est également un moyen élégant d’atténuer les risques associés à la chaîne d’approvisionnement et aux autres activités : la disponibilité des ressources améliore leur résilience, ce qui peut aussi leur permettre de bénéficier d’assurances moins onéreuses, de meilleurs marchés de crédit, etc. Enfin, la sécurisation des sources d’approvisionnement circulaires réduit leur dépendance vis-à-vis des marchés de ressources primaires potentiellement volatiles, souligne le co-fondateur de Systemiq, Martin Stuchtey.


Toutefois, les entreprises doivent également s’imposer face aux institutions financières : conseillers et comptables sont réticents à l’idée de relever les nouveaux défis comptables que pourraient engendrer les business models circulaires, tandis que les banques, les fonds de pension et les investisseurs privés sont peu habitués à évaluer les impacts non financiers.

Dans une certaine mesure, les investisseurs se penchent déjà sérieusement sur les risques environnementaux des entreprises. Dans une enquête EY menée cette année, quatre investisseurs institutionnels sur cinq déclarent que les entreprises ont trop longtemps négligé les questions environnementales, sociales et de gouvernance, mais que le fait de générer des rendements durables au fil du temps nécessite une plus grande attention à ces questions. Pendant ce temps, un rapport du CDP paru en juillet se penche sur les véritables coûts des émissions des sociétés minières et des risques de stress hydrique. « En fin de compte, pour comprendre si les entreprises agissent vraiment ainsi, les investisseurs ont besoin de voir des preuves tangibles », déclare Jamie Butterworth.

Cet article est tiré des débats lors de la conférence « Strategic Materials for a Low-Carbon Economy: From scarcity to availability », organisée conjointement par l’Institut Veolia et Oxford Martin School en novembre 2017.